jeu 12 mar 2009

NIGER • Areva accusé de toutes parts

12 03 2009

Courrier international. hebdo n° 958 - 12 mars 2009 10.png

Le groupe français exploite depuis quarante ans des mines d’uranium à Arlit. Si sa présence est un atout pour l’économie locale, elle laisse cependant à désirer sur le plan de l’environnement.

Areva est le groupe nucléaire français qui construit en ce moment des centrales dans toute l’Europe et doit piloter le développement du nucléaire britannique. Depuis quarante ans, il exploite les mines d’uranium du nord du Niger à partir de sa base d’Arlit. Quand on entre dans la ville, on a un peu l’impression d’être dans un film de série B des années 1950 sur la fin du monde. Arlit est entourée d’un désert formé non pas des belles dunes ondoyantes des magazines de voyage, mais d’une vaste plaine aride balayée par les tempêtes de poussière orange venues du Sahara.

Les 2 000 employés de la mine vivent dans des pavillons entretenus par l’entreprise, dans des rues bien ordonnées, et disposent d’eau courante propre et d’électricité. Au menu du club-house figurent des plats français tels que le magret de canard. Il y a des écoles, un hôpital et des terrains de sport où tout le monde est censé pouvoir jouer au football, une installation invraisemblable au milieu du désert. Mais ces équipements ne sont ouverts qu’aux familles des mineurs et aux fonctionnaires en poste dans la ville.

Une atmosphère de désespoir pèse sur les cabanes

Hors de l’environnement fabriqué par l’entreprise, Arlit offre un visage différent. Dans les rues, une atmosphère de désespoir pèse sur des cabanes construites avec de la terre, des bâches en plastique, de la tôle ondulée et des bouts de ferraille probablement volés dans les mines. Il y a des ordures partout. Après le coucher du soleil, les ruelles grouillantes de monde accueillent des trafiquants de cigarettes, de drogue, d’armes et d’êtres humains.

A la différence de la majorité des mineurs, amenés du sud du Niger, la plupart des 60 000 personnes qui vivent dans les bidonvilles d’Arlit sont originaires du Nord. De tradition nomade, peu sont allés à l’école et ils n’ont pas les qualifications nécessaires pour travailler dans les mines. Ils disent qu’ils ont posé leur baluchon à Arlit parce que toute l’eau des nappes phréatiques a été pompée pour exploiter les gisements, ce qui a transformé la région en désert. Certains ont perdu leur troupeau pendant les années de grande sécheresse et ont été attirés par la perspective de trouver un travail. Mais, malgré tous les problèmes que posent les mines, personne ne souhaite leur fermeture.

Outre l’épuisement de l’eau, Areva a été accusé d’une multitude de mé­faits par des ONG locales et inter­nationales. En 2008, la Fondation suisse de l’énergie (SES) l’a proposé pour un Public Eye Award (prix du public de la multinationale la plus irresponsable), affirmant que les médecins des hôpitaux du groupe faisaient passer des cas de cancer – qui pourraient être dus à des niveaux élevés de radioactivité dans les mines – pour des cas de sida. Areva réfute ces allégations et mentionne les millions d’euros qu’il a investis dans des projets d’intérêt collectif au Niger. Pour ce qui est des niveaux de radioactivité à Arlit, le groupe brandit sa certification ISO 14001. Il est la seule entreprise au Niger à respecter ces normes de sécurité environnementale. Mais les accusateurs, dont le Mouvement des Nigériens pour la justice, ne sont pas convaincus : ils affirment que le sujet requiert une enquête indépendante plus approfondie.

Une série d’attaques menées par des groupes rebelles

Areva est également impliqué dans une controverse plus large et plus complexe sur la façon dont l’argent de l’uranium nigérien doit être dépensé. Ces deux dernières années, les mines ont subi une série d’attaques menées par des groupes rebelles, et quatre employés français ont été kidnappés en juin 2008. Les rebelles veulent qu’une plus grande part des recettes d’exploitation soit investie dans la construction d’infrastructures et dans le développement du nord du Niger. Lorsque la production est interrompue, les revenus du gouvernement s’en ressentent et la publicité générée en attaquant une entreprise multinationale est, pour les rebelles, une façon de faire entendre leur cause. A l’heure actuelle, malgré les promesses de transférer les fonds aux régions, l’argent de l’uranium continue à être dépensé par le gouvernement central à des centaines de kilomètres de là, dans la capitale, Niamey, où la corruption est omniprésente. Beaucoup de responsables politiques sont plus que ravis de voir Areva essuyer le gros des attaques rebelles et des critiques de la communauté internationale. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres de la planète, mais aussi le troisième producteur d’uranium du monde. Intensifier l’extraction de minerai pour alimenter les centrales nucléaires au Royaume-Uni pourrait apporter des avantages énormes à la région du Nord et à tout le pays. Mais cela ne se fera pas automatiquement. Avant de signer tout accord, Gordon Brown (le Premier ministre britannique) devra s’assurer que l’énergie moins chère et plus propre qu’il veut fournir au Royaume-Uni grâce au nucléaire ne sera pas payée au prix fort par les communautés locales du Niger.

Caroline Sourt
The Guardian