jeu 20 aoû 2009
Écologie ou barbarie - par Noël Mamère
20 08 2009L’actualité récente vient de nous apporter de nouvelles preuves des liens indissociables entre les questions que soulèvent les écologistes et les droits de l’Homme : la dernière condamnation de Aung San Suu Khuy, par la junte Birmane et le coup d’État institutionnel du président du Niger qui vient de trafiquer sa Constitution pour rester plus longtemps au pouvoir. Quel rapport avec l’écologie ? Regardons d’un peu plus près : ces deux pays sont riches de matières premières qui intéressent les pays du Nord au plus haut point et la France en particulier ; le bois et le pétrole en Birmanie, l’uranium au Niger. Deux sociétés françaises sont concernées au premier chef : Total, l’un des plus gros investisseurs en Birmanie, pour l’exploitation des hydrocarbures ; Areva au Niger, pour l’extraction de l’uranium nécessaire à l’alimentation des centrales nucléaires.
Selon la fédération internationale des droits de l’Homme, Total verse chaque année 140 millions d’euros de royalties à la junte qui fait aujourd’hui l’objet de l’indignation mondiale. Quant à Areva, elle remplit les caisses d’un régime qui opprime ses opposants et mène une répression sanglante contre les populations Touaregs, là où se trouvent justement les gisements d’uranium.
Voilà qui explique sans doute la tartufferie du président Français qui, au lendemain de la condamnation de la « dame de Rangoon », appelait à des sanctions « tout particulièrement dans le domaine de l’exploitation du bois et des rubis »… Mais qui s’empressait d’oublier le pétrole, pour mieux protéger Total et nos approvisionnements en hydrocarbures si nécessaires à notre société de consommation à outrance. Après le référendum truqué du 4 août au Niger, silence radio. Le président Tandja peut tricher tranquillement, torturer ses opposants, nous avons trop besoin de son uranium pour nos centrales nucléaires et pour affirmer haut et fort, sans craindre le mensonge d’État, que grâce à elles, nous sommes indépendants.
Autrement dit, pour poursuivre un mode de vie et de consommation, pour assumer des choix -comme le nucléaire-, qui n’ont jamais été débattus démocratiquement par la société, nous nourrissons des dictateurs sanguinaires, qui tuent des moines, enferment un prix Nobel, font travailler des enfants et conduisent des guerres contre leurs minorités ; nous sacrifions la liberté des peuples à nos intérêts mercantiles et à notre mode de développement. Au nom de la préservation de notre confort, nous sommes prêts à sacrifier les idéaux des Lumières. L’égoïsme est devenue la valeur dominante qui efface toutes les autres. Et c’est ainsi que progresse l’apartheid planétaire qui ruine les sociétés et menace la Terre elle-même, soumise à l’appétit insatiable des prédateurs sans foi ni loi. C’est pourtant dans ce monde que nous vivons, où les plus pauvres, les « damnés de la terre », voient leurs libertés de plus en plus menacées et leur survie de plus en plus incertaine ; où les victimes des injustices sociales et les plus démunis sont aussi les premières victimes des injustices environnementales ; où 20% des habitants de la planète consomment 80% de ses ressources. À cause de ces inégalités de plus en plus insupportables, de plus en plus révoltantes, la vulnérabilité du monde prospère et, avec elle, la montée des incertitudes, des peurs, des violences, symboles de la fragilité d’une puissance que nous pensions capable de tout maîtriser.
Ce monde-là est en faillite. Si nous tentons de le préserver tel qu’il est, nous courons tous à notre perte, riches comme pauvres ; l’avenir radieux que nous promettaient les Trente Glorieuses et, aujourd’hui la « croissance verte » – nouveau logo du capitalisme aux abois – virera au cauchemar. On ne peut donc s’accommoder de « bricolages » sur une maison lézardée ou de pansements verts appliqués à un grand corps malade. Le rétablissement d’un monde plus juste pour nos générations et celles qui vont nous suivre est au prix d’une véritable révolution écologique et sociale. C’est bien ce que proposent les écologistes depuis des décennies, derrière des penseurs comme Illich, Ellul, Gorz, Fournier, Charbonneau, Jouvenel, Dumont… Qui se souvient de La Gueule Ouverte, premier journal écologiste français qui, dans la confidentialité militante de l’époque, prônait le modèle de société que nous avons défendu avec succès au cours des dernières élections européennes ? Nous n’avons rien inventé, nous n’avons rien dit d’autre que ce que nous répétons élection après élection, colloque après colloque, débat après débat… Mais, pour la première fois dans notre courte histoire politique, notre imaginaire a rencontré la société. En nous écoutant parler de notre projet, du monde dont nous rêvons pour nos enfants, les Français nous ont dit « chiche ! » et nous ont donné les moyens de peser beaucoup plus fort dans les débats politiques d’aujourd’hui et de demain. Nous devons saisir cette main tendue et nous battre avec les moyens de la démocratie pour que l’écologie ne soit plus considérée comme une figure politique de catégorie B, mais comme un outil de transformation politique et sociale à part entière, au même titre que le socialisme le fut au début du XXe siècle. Il ne s’agit pas de se lancer dans une bataille de concurrence qui serait suicidaire pour toute la gauche française, mais de montrer que la conversion écologique de nos sociétés est le passage obligé vers un monde moins injuste et plus respectueux de son environnement indispensable à la survie des hommes.
Voilà pourquoi les semaines et les mois qui viennent vont être déterminants pour l’avenir de l’écologie politique. Nous devons tenir et tenir encore sur la ligne du rassemblement, ne pas nous laisser emporter par nos petites querelles de chapelle. Chacun sait que le diable niche dans les détails et si nous avions dû en rester là pour la composition des listes aux élections européennes, jamais nous n’aurions pu présenter cette alliance des belles personnes qui, de Dany à Eva, de José à Yannick, de Jean-Paul à Michèle, a conquis les Français. Les Verts ont fait preuve d’une grande intelligence politique à cette occasion, qu’ils ne l’oublient pas au moment des élections régionales ! Nous devons rester les moteurs du rassemblement des écologistes et de tous ceux qui croient en notre projet de société mais qui ne veulent pas entendre parler de parti. C’est à nous, tous ensemble, de définir les contours de ce nouvel objet politique, si nous ne voulons pas qu’il reste dans l’histoire comme un joli météore qui traversa la galaxie politique en ce début d’été 2009 et disparut dans la magma des accords d’appareil. La profondeur de la crise écologique et sociale que nous traversons est telle que nous ne pouvons rater ce rendez-vous avec l’histoire. À nous d’être à la hauteur de cette lourde, mais exaltante, responsabilité.
Publié sur ecolosphere.net