Article publié par IRIN le 16 octobre 2007
DAKAR, 16 octobre 2007 (IRIN) - Tandis que la demande mondiale en Ă©nergie nuclĂ©aire grimpe, les vastes rĂ©serves dâuranium du Niger ne sont pas un atout pour la population du pays, Ă en croire les analystes ; au contraire, elles ne font quâajouter aux graves problĂšmes qui pĂšsent sur la rĂ©gion.
Pays pauvre situĂ© Ă la lisiĂšre sud du dĂ©sert du Sahara, le Niger dispose de rĂ©serves dâuranium â source principale de combustible nuclĂ©aire â parmi les plus importantes du monde, mais nâen tire presque aucun avantage.
Au contraire, selon les organisations locales et internationales, lâexploitation de lâuranium par des sociĂ©tĂ©s principalement Ă©trangĂšres a des consĂ©quences nĂ©fastes sur lâenvironnement et la santĂ© des populations dans lâextrĂȘme nord du pays.
Les opĂ©rations miniĂšres sont aussi Ă lâorigine de tensions politiques nationales : notamment, une des exigences principales du Mouvement des NigĂ©riens pour la justice (MNJ), une milice armĂ©e aux prises avec lâarmĂ©e nigĂ©rienne depuis fĂ©vrier, repose sur une rĂ©partition plus Ă©quitable des revenus gĂ©nĂ©rĂ©s par lâexploitation de lâuranium.
« Le fait quâil y ait de (lâuranium au Niger) est plus un mal quâun bien, pour lâinstant », selon Jeremy Keenan, professeur Ă lâuniversitĂ© de Bristol au Royaume-Uni, et autoritĂ© reconnue sur le Sahara. « Câest une malĂ©diction pour la rĂ©gion et les populations qui y vivent ⊠Cela a tout le potentiel dâune situation tout Ă fait explosive ».
Peu dâavantages
Les associations de la sociĂ©tĂ© civile au Niger, ainsi que plusieurs universitaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sâaccordent sur le fait que les populations du Niger nâont pas profitĂ© des 100 000 tonnes dâuranium extraites ces 36 derniĂšres annĂ©es. Le Niger, qui produit plus de 3 000 tonnes dâuranium par an, se situe entre la troisiĂšme et la cinquiĂšme places mondiales en matiĂšre de production dâuranium.
NĂ©anmoins, selon lâIndice de dĂ©veloppement humain 2006 du Programme des Nations Unies pour le dĂ©veloppement, le Niger est le pays le plus pauvre du monde : lâespĂ©rance de vie est de 45 ans, 71 pour cent des adultes ne savent pas lire, et 60 pour cent de la population survit avec moins dâun dollar par jour.
« Le peuple nigĂ©rien ne profite pas de ces revenus », selon Ali Idrissa, coordinateur de la branche nigĂ©rienne de Publish What You Pay, une coalition internationale dâorganisations non-gouvernementales (ONG) qui appellent les compagnies extractives (pĂ©trole, gaz, mines) Ă communiquer les montants quâelles versent aux gouvernements pour lâextraction des ressources naturelles.
Le gouvernement nigĂ©rien, notamment, ne perçoit quâune faible part des revenus de lâuranium : ce sont des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres qui dĂ©tiennent une participation majoritaire dans SOMAĂR et COMINAK, les deux entreprises productrices dâuranium, gĂ©rĂ©es et principalement dĂ©tenues par Areva, multinationale française et gĂ©ant mondial de lâexploitation miniĂšre.
En juillet, les autoritĂ©s ont renĂ©gociĂ© le prix de lâuranium, augmentant ainsi le taux de redevance au kilo, pour le porter Ă 40 000 francs CFA (soit 86 dollars) pour lâannĂ©e 2007. MalgrĂ© tout, aux termes dâun accord vieux de plusieurs dĂ©cennies, les deux sociĂ©tĂ©s de production ne sont pas tenues de verser plus de 5,5 pour cent de leurs revenus Ă lâEtat. En 2006, cela Ă©quivalait seulement Ă 10 milliards de francs CFA (22 millions de dollars), selon le ministĂšre de lâExploitation miniĂšre et de lâEnergie.
DâaprĂšs Robert Charlick, professeur Ă lâuniversitĂ© publique de Cleveland et auteur dâouvrages sur le Niger, les revenus de lâuranium permettent nĂ©anmoins au gouvernement de moins dĂ©pendre des impĂŽts, et donc dâavoir moins besoin du soutien de la population, et particuliĂšrement de la grande majoritĂ© de la population rurale isolĂ©e du pays.
« Cela a dĂ©truit la perspective de voir apparaĂźtre un systĂšme politique plus attentif aux intĂ©rĂȘts des populations rurales », a expliquĂ© M. Charlick Ă IRIN. Si lâindustrie miniĂšre a permis un certain dĂ©veloppement, a-t-il poursuivi, ce dĂ©veloppement sâest opĂ©rĂ© de façon Ă servir la production de lâuranium, et non Ă profiter au NigĂ©rien moyen. Une route vers Arlit a Ă©tĂ© construite Ă travers la ville miniĂšre de Tahoua pour permettre le transport de lâuranium, et lâexploitation du charbon a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e pour permettre le fonctionnement des centres de production dâuranium. « Ces rĂ©gions ont lâĂ©lectricitĂ©, mais rares sont les autres zones rurales du pays qui lâont », a-t-il ajoutĂ©.
PrĂ©occupations sanitaires et environnementales Le mĂ©contentement est Ă©galement de plus en plus vif chez les milliers de mineurs et les populations qui vivent prĂšs des sites miniers de la rĂ©gion dâAgadez, dans le nord ; ceux-ci se plaignent de conditions de travail dangereuses et de lâexposition de la communautĂ© aux substances radioactives.
En aoĂ»t, un mouvement dâassociations de la sociĂ©tĂ© civile aurait exigĂ© quâAreva verse 300 milliards de francs CFA (647 millions) de dommages et intĂ©rĂȘts pour ses annĂ©es dâexploration dans des « conditions injustes et iniques ».
Selon une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en 2005 par Sherpa, un rĂ©seau international dâavocats qui plaident pour la responsabilitĂ© sociale des entreprises, les personnes qui travaillent dans les mines dâuranium nigĂ©riennes ne sont pas informĂ©es des risques sanitaires auxquels elles sont exposĂ©es ; ne bĂ©nĂ©ficient pas des mesures de sĂ©curitĂ© les plus essentielles ; et ne sont pas toujours soignĂ©es en cas de cancer du poumon. Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© quâĂ long terme, lâexposition au radon â un gaz obtenu par transformation de lâuranium â par inhalation avait un lien avec lâapparition du cancer du poumon.
Selon CRIIRAD, une autre ONG française, lâeau, la terre et les morceaux de ferraille qui se trouvent dans la zone dâexploitation des deux mines du Niger prĂ©sentent des taux de radioactivitĂ© dangereusement Ă©levĂ©s.
Pour Mamane Sani Adamou, dâAlternative Espaces Citoyens, une organisation de la sociĂ©tĂ© civile, lâextraction de lâuranium a gravement portĂ© atteinte Ă lâenvironnement, rĂ©duisant notamment les forĂȘts et les pĂąturages.
La multinationale a fait obstacle Ă la poursuite des recherches visant Ă dĂ©montrer scientifiquement la vĂ©racitĂ© des allĂ©gations de pollution et de prĂ©judice sanitaire, selon M. Keenan, de lâuniversitĂ© de Bristol.
Areva a systĂ©matiquement niĂ© ces allĂ©gations, et attribuĂ© le nombre Ă©levĂ© de maladies Ă la rudesse du climat dĂ©sertique. Dans une dĂ©claration Ă©crite, envoyĂ©e en rĂ©ponse aux questions dâIRIN, Areva a dit faire lâobjet dâaudits externes rĂ©guliers ayant trait Ă la santĂ©, Ă lâenvironnement et Ă la sĂ©curitĂ© ; selon les conclusions dâun de ces audits, rĂ©alisĂ© par lâInstitut de radioprotection et de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire (IRSN), un organisme français, la sociĂ©tĂ© opĂšre conformĂ©ment aux normes internationales. La sociĂ©tĂ© Areva a Ă©galement indiquĂ© quâelle ouvrirait un centre de santĂ© prĂšs de ses sites dâexploitation.
« Les accusations de nĂ©gligence et de manque de transparence portĂ©es Ă lâencontre dâAreva sont en contradiction totale avec les faits rĂ©els », selon le document. Une source de conflit potentiel
Tandis que la concurrence gĂ©nĂ©rale pour lâobtention des ressources africaines se fait de plus en plus vive â Daniel Volman, chercheur indĂ©pendant exerçant Ă Washington, parle dâune « concurrence mondiale entre les Etats-Unis et la Chine pour lâaccĂšs aux rĂ©serves Ă©nergĂ©tiques » â certains analystes craignent que lâuranium nigĂ©rien ne devienne Ă©galement une source de tensions.
Selon lâAgence internationale de lâĂ©nergie atomique, la demande mondiale globale en Ă©nergie augmentera dâau moins 50 pour cent au cours des 25 prochaines annĂ©es et devra ĂȘtre satisfaite principalement par des combustibles non-fossiles, et particuliĂšrement par lâĂ©nergie nuclĂ©aire.
« Les Etats-Unis et tous les autres pays industrialisĂ©s ou en voie de dĂ©veloppement se tourneront vers lâAfrique comme source dâuranium », a expliquĂ© M. Volman, qui Ă©tudie la politique amĂ©ricaine en Afrique, en matiĂšre de rĂ©serves dâĂ©nergie. « Le processus a dĂ©jĂ commencĂ© et va prendre de lâampleur ».
Le Niger abrite les plus grandes rĂ©serves dâuranium dâAfrique, principalement accaparĂ©es par Areva depuis plusieurs annĂ©es. Le gouvernement tente Ă prĂ©sent de trouver dâautres partenaires et a dĂ©livrĂ© plus de 100 permis dâexploration Ă des sociĂ©tĂ©s canadiennes, amĂ©ricaines, chinoises, indiennes et autres, au cours de cette derniĂšre annĂ©e, seulement.
« De nombreux pays du monde sont en quelque sorte prĂȘts Ă tout pour mettre la main sur de lâuranium », a rĂ©sumĂ© M. Keenan de lâuniversitĂ© de Bristol, ajoutant : « Il risque dây avoir progressivement de plus en plus de conflits de ressources dans le monde ». La guerre de lâuranium ?
Jusquâici, lâinstabilitĂ© de la rĂ©gion sahĂ©lienne Ă©tait due Ă des facteurs autres que lâexploitation des ressources. Mais au Niger, lâuranium participe dâun mĂ©lange de facteurs potentiellement explosifs, notamment la guerre menĂ©e par les Etats-Unis contre le terrorisme, la rĂ©bellion dans le nord et la politique du gouvernement, qui interdit toute nĂ©gociation avec les rebelles.
DâaprĂšs M. Volman, chercheur indĂ©pendant, la prĂ©sence de ressources naturelles amĂšne les gouvernements Ă©trangers Ă apporter un soutien militaire et financier aux pays riches en ressources de façon Ă sâassurer un accĂšs continu Ă ces ressources. Les Etats-Unis assurent dĂ©jĂ lâentraĂźnement militaire des officiers nigĂ©riens, a-t-il expliquĂ©, et le Niger a participĂ© Ă dâautres programmes dâĂ©quipement offerts par les Etats-Unis par le passĂ©.
Or, pour M. Volman, une militarisation accrue mĂšne Ă une agressivitĂ© accrue des gouvernements envers leurs propres administrĂ©s et les pays voisins. « Cela favorise la rĂ©pression interne. Et cela encourage aussi les pays Ă envahir leurs voisins », a-t-il affirmĂ©. « Cela les incite Ă se rĂ©soudre Ă la force, Ă la fois pour solutionner leurs problĂšmes et pour saisir les occasions qui se prĂ©sentent Ă eux â et notamment lâoccasion dâenvahir les pays voisins et de les piller ».
« On peut difficilement citer un exemple oĂč la prĂ©sence de ressources en Afrique nâa pas Ă©tĂ© une malĂ©diction totale », a poursuivi M. Volman. « Je mâattends Ă ce que le Niger reproduise le mĂȘme type de cycle constatĂ© dans dâautres pays, car il est dĂ©jĂ en train de suivre la mĂȘme trajectoire ».
Depuis le mois de fĂ©vrier, les rebelles du MNJ ont pris dâassaut plusieurs avant-postes de lâarmĂ©e nigĂ©rienne et menĂ© des attaques contre certaines sociĂ©tĂ©s miniĂšres Ă©trangĂšres ; ils ont notamment tuĂ© au moins 45 soldats et enlevĂ© un ressortissant chinois qui travaillait Ă lâexploitation de lâuranium, avant de le libĂ©rer, sain et sauf. En juillet, le MNJ a conseillĂ© Ă tous les ressortissants Ă©trangers travaillant dans le secteur de lâexploitation miniĂšre des ressources naturelles de quitter les zones de conflit « pour leur sĂ©curitĂ© ».
MalgrĂ© tout, pour certains, les prĂ©visions dâun violent conflit au sujet de lâuranium sont exagĂ©rĂ©es. « Je ne pense vraiment pas quâil faille sâattendre Ă une guerre de lâuranium », a assurĂ© M. Charlick de lâuniversitĂ© publique de Cleveland. « Ce sera un problĂšme Ă©conomique de plus en plus pesant, mais je ne mâattends pas Ă ce quâil dĂ©bouche sur une bataille ».
M. Idrissa de Publish What You Pay nâest pas du mĂȘme avis ; Ă la question « la prĂ©sence dâuranium pourrait-elle aboutir Ă une guerre rĂ©gionale ? », il rĂ©pond quant Ă lui :
« Vu les intĂ©rĂȘts de certaines puissances en matiĂšre dâuranium, il faut sâattendre Ă tout ».